Dès qu'il y a une blonde (même vieille), un soudanais s'approche. Il a fallu que celui ci s'incruste sur la photo
21 décembre. Km 0, sortie du désert, et nous arrivons à Atbara en pleine tourmente.
En fait, le gros des événements a eu lieu hier. Des manifs ont commencé le 19 décembre dans plusieurs villes du Soudan et se sont étendues hier. Manifs contre le triplement du prix du pain. Mais le pays est dirigé d’une main de fer, la répression est sévère. Plusieurs morts sont à déplorer dès le 1er jour, dont 2 à Atbara. Vagues d’arrestations, internet bloqué etc. L’ambiance est bonne dans notre hôtel, le jeune gars de la réception nous tient au courant des événements et nous conseille de ne pas trop traîner en ville. Il nous faut cependant sortir pour trouver à manger, mais au souk, on sent que c’est tendu. Presque tout est fermé, une présence militaire est importante dans les rues, dans le boui boui, quelques militaires mangent, le fusil sur les genoux. Je n'apprécie pas trop la présence de gens armés à côté de moi pendant le repas, c'est retour maison avec un poisson grillé dans un sac plastique. Du coup, le lendemain,plutôt que de se balader dans cette ville, qui s'avère être un haut lieu de la contestation, nous allons faire un tour dans la petite ville d’à côté où se tient un grand marché aux animaux, en particulier aux dromadaires. Il est l'heure du déjeuner, plutôt que de se refaire le coup du poisson grillé dans le sac plastique à Atbara, nous passons un agréable moment au soukb d'Ad Damir, achetons 1/2 kg de mouton, que l'on nous fait griller sur pierres chaudes. Sympa. Et bien entendu, ce repas se termine par queques cafés, ah le café soudanais, c'est quelque chose.
Le café soudanais (djabana)
Avec les serveuses de café et le thé, c’est le grand retour des femmes, qui avaient complètement disparu ou presque de la vie publique en Egypte. A chaque coin de rue, elles sont assises derrière de minuscules comptoirs , joliment habillées de leur grande robe de couleur. Dans une vitrine de poupée, elles ont disposé de petits pots dans lesquels sont capturés des dizaines de parfums : anis, gingembre, cardamone, carcadet…. Nous avons un faible pour le café au gingembre. A chaque gorgée, le goût du café est exacerbé par la vigueur du gingembre, délicieux. A côté d’elles, fume une grosse bouilloire disposée sur un lit de braise. Pour exciter nos sens, elles font brûler dans un petit pot divers encens naturels. Le matin, les volutes de fumée qui en émanent nous aident à replonger dans nos rêves à peine quittés. Certaines fabriquent même en bonus de petits beignets frits gonflés à frotter dans le sucre, les “zlabillas”.
Devant leur boutique sont disposés de minuscules tabourets en plastique pour accueillir les passants. Il y a toujours quelqu’un pour parler avec nous, voire pour nous payer le café.
En rentrant à l'hôtel, nous apprenons que les manifestations vont se poursuivre les jours suivants. En fait, le triplement du prix du pain est le détonateur, mais les soudanais veulent une vie meilleure. La vie est dure, l'inflation catastrophique. L'économie du pays est exsangue du fait de la perte des revenus du pétrole dont les gisements se situent au Sud (séparé du nord depuis 2011). Les pénuries aiguës d'essence génèrent des files d'attente de plusieurs kilomètres dans les stations-service. Du coup, les denrées alimentaires circulent mal. L'embargo économique imposé par les Etats unis a été levé, mais le Soudan reste sur la liste noire des pays favorisant le terrorisme, du coup, personne n'investit ici. Et puis, les soudanais ne veulent plus de leur président, au pouvoir depuis 1989. Une grande manif. est prévue pour le 26, nous décidons donc de partir dans le désert quelques jours, là bas, nous serons tranquilles, et c'est sur notre route en plus.
Le 23, nous quittons Atbara. En marge du village de Bagrawiyah, se trouvent les pyramides de Méroé, nécropole et ultime capitale de la 25ième dynastie et monarques du royaume de Koush. Nous y arrivons dans l'après midi, en pleine chaleur. Le site est manifestement grandiose, mais notre premier souci est de trouver de l'ombre, car nous allons rester là 2 ou 3 jours. Un acacia aux branches un peu hautes fera bien l'affaire, on peut caser la tente et les vélos.
"Auprès de mon arbre, je vivais heureux ...."
Comme c'est Noël demain, l'acacia est décoré avec des bouteilles plastiques récupérées ça at là.
merci Jacques pour cette jolie carte
Il y a un truc formidable au Soudan, c'est que dans les lieux touristiques (les lieux où il y a des choses à voir) , il n'y a pas de touristes, et croyez nous, avoir ce site pour nous seuls, c'est quelque chose. Oh, nous verrons bien quelques visiteurs, ils arrivent juste pour le coucher du soleil, et repartent juste après. Après leur départ, nous sommes les gardiens du temple, puisque les quelques vendeurs de babioles rentrent aussi chez eux.
Les pyramides sont grandioses, c'est d'ailleurs ici que l'on trouve la plus grande concentration de pyramides au monde ! Certes, elles ne sont pas aussi hautes que celles de Gize en Égypte, mais le fait d’avoir le site pour nous seuls est un grand avantage.
Ce sont les restes d’une civilisation brillante, une culture restée dans l’ombre de l’Egypte, ce voisin du nord si puissant au point d’étouffer en partie cette richesse des bords du Nil (la construction du barrage Nasser a fait disparaitre des terres et des merveilles construites dessus)
Les façades triangulaires des pyramides Méroétiques s’affichent dans un ciel sans nuage. Elles font penser à de hautes voiles noires à la recherche de la brise du Nil. Elles témoignent de la grandeur de l’antique royaume de Méroé ( du IVsiècle av, J.C au IV siècle de notre ère)
25 décembre. Quelle belle journée. Elle commence par une visite inattendus, à 6 h du mat. C’est Walid, Ali et San, on les entend bavarder à voie basse devant notre tente. Sachant qu’ils sont venus à pied et qu’ils vivent à 3 km de notre tente, il sont forcément partis de nuit. Ils sont venus nous apporter des petites pyramides (j’avais promis la veille à Walid que je lui en achèterai une)
Après le petit dej. pris avec nos petits amis, nous partons à pied. Petites dunes, crêtes rocheuses, c’est magnifique.
Nous sommes invités à prendre le petit dej. (Le 2ème du coup) dans le bungalow de Mustafa, un kurde qui a fui la Syrie et travaille ici pour creuser un puits. Un jeune travailleur nous accompagne pour nous montrer une grotte immense dans la montagne. C'est une carrière, et c'est ici qu'on a extrait de grandes quantités de pierres pour construire les pyramides de Méroé, mais aussi des pyramides d'Egypte.
Plus loin, nous créons l’évènement en arrivant tout à fait par hasard dans une famille. Le désert est habité en fait, ici, ils ont même construit une maison en dur. Le repas se prépare et sommes évidemment invités à le partager. Ces gens sont adorables, nous passons l’après midi à échanger, heureusement, quelques uns parlent assez bien anglais. Nous sommes séparés hommes femmes, les hommes à l’intérieur, les femmes devant la maison. Ce sont donc 2 immenses plateaux de nourriture qui sont préparés. Nous mangeons bien sûr avec les mains, comme partout au Soudan. Cela oblige une grande rigueur d’hygiène: tout le monde se lave les mains avant et après chaque repas grâce à de petites cruches en plastique. Ce sont les mêmes qui servent dans tout le pays pour les ablutions avant chaque prière.
Nous passons de délicieux moments dans cette famille, les langues se délient, mais les soudanais sont calmes, réservés, ils s'intéressent à nous sans pour autant nous envahir ni nous submerger de questions.
Le lendemain matin, vers les 6h, à nouveau des murmures près de la tente. C'est la bande à Walid, ils ne sont plus 3 mais 6, et viennent juste nous voir pour nous offrir de petites pyramides. Nous ne pouvons pas refuser, ils tiennent absolument à nous faire ces cadeaux. Ces gosses sont vraiment super !
C'est comme cela qu'il faudra faire une place sur nos étagères pour caser les pyramides....Mais voilà qu'au moment où nous décollons, c'est Amdou qui arrive, on le connait bien Amdou, il vent des babioles à l'entrée du site. "Et ce saladier, il n'irait pas bien sur vos étagères ?" oh si, il est beau, et un saladier, ce n'est pas très compliqué à trimballer sur un vélo, surtout quand il nous faut embarquer 3 jours de bouffe et tutti quanti ! C'est parti, avec le saladier..., comme ça, une fois rentrés, on pensera aussi à Amdou. Un grain de folie, mais c'est aussi le sel de la vie.
Nous repartons donc en direction de Shendi, où nous faisons escale. Dans l'unique hôtel, on est autorisés à camper sur la pelouse. Chouette. Et prendre une douche, oui, on en a besoin, je crois...
mais avant la douche, place aux choses sérieuses, une petite bouffe au restau, et à voir la bouille du cuisinier, nous sommes certains que l'on mangera très bien :
Shendi est une ville bien bordélique comme on aime, mais nous n'y restons pas, les jours commencent à être comptés.
Depuis que nous sommes entrés dans le pays, à part dans le désert de Bayuda entre Karima et Atbara, nous trouvons des jarres d'eau partout, sous les arbres, quand il y en a, dans des abris spécialement conçus à cet effet, devant des magasins et des maisons. Cette eau est mise à la disposition de tous. Elle est toujours fraîche, grâce à la porosité du récipient. La générosité dans la disponibilité de l'eau reflète bien la générosité de la population du Soudan. Cette eau n’est pas très claire, mais elle est bonne à boire. La plupart du temps, nous la faisons quand même bouillir, ne voulant pas prendre de risques, mais il nous est arrivé de la boire telle quelle, sans aucun problème. Dans les villes, nous avons mangé seulement dans les bistrots de rue, là où la vaisselle de 20 personnes est lavée avec 1 l d’eau, nous avons mangé des légumes non épluchés, mangé de la salade et n’avons jamais été malades.
Et voici la peau de chèvre, qui permet aussi d'avoir de l'eau fraîche :
Vous avez peut être du mal à le croire, mais cette eau est parfaitement saine.
Les sacoches blindées à nouveau, en particulier de pamplemousses délicieux, nous nous élançons pour la dernière partie de ce périple de 2 mois (trop trop court !!, mais nous aimons aussi le ski…)
Gros dilemme : il nous reste seulement 2 nuits à passer sous la tente. Nous hésitons entre le super coin perdu, et la gentillesse des soudanais. Du coup, la 1ère nuit se passe dans un superbe univers minéral
Pas sûrs qu'on se régale, mais super endroit.
la dernière pleine lune de 2018
et notre dernière nuit avant la capitale, c'est dans un village :
La circulation devient de plus en plus dense. Nous arrivons à Ondurman, la banlieue de Khartoum. C’est à Ondurman la poussiéreuse que nous passerons nos derniers jours au Soudan.
Nous réglons le souci numéro 1 : empaqueter les vélos. Nous trouvons des cartons de frigo, mais ils sont beaucoup trop épais et lourds. Au final, nous les faisons emballer au souk, Hadj fait ça très bien, en rafistolant des petits cartons et en cousant une toile par dessus (la 2ème photo), c'est parfait. Il nous restera donc du temps pour visister un peu Khartoum, et rendre visite à Arthur, un cyliste en route pour Cape town
La ville de Khartoum est bien différente des autres capitales africaines. C’est une ville qui se veut résolument moderne, avec des immeubles clinquants, des quartiers résidentiels bien tenus, des centres commerciaux comme chez nous, des espaces verts. Mais à voir l'état de certaines bagnoles et les poubelles parfois dans la rue, on voit bien que tout n'est pas si rose.
On nous dit que Khartoum aimerait ressembler à Dubaï Dans la décennie 2000-2010, les tours sont apparues. La tour al Fatih, qui abrite un hôtel de luxe, construite par les Libyens sur le Nil Bleu, est l’illustration la plus parlante de cette diffusion des modèles urbains et architecturaux en provenance des pays du Golfe. Cette tour est devenue en quelques années un puissant symbole de la transformation de la capitale et de sa « modernité ». On la retrouve sur de très nombreux dépliants et affiches publicitaires vantant d’une manière ou d’une autre le dynamisme du développement soudanais.
C’est aussi la ville où en son coeur les 2 Nils s’unissent ( le Nil blanc venant d’Ethiopie et le Nil bleu venant d’Ouganda ). Ainsi à la confluence, nait le géant qui terminera sa course à Alexandrie.
Nous nous envolons de Khartoum pour la France dans la nuit du 1er au 2 Janvier 2019, mais il nous faudra longtemps pour "atterrir", on ne quitte pas si vite un pays aussi attachant.